La boîte à musique * Episode 7

Rodolphe Mauret était un historien et généalogiste parmi les plus réputés de la profession. Son savoir, sa culture et ses accomplissements impressionnaient plus d’un de ses pairs.

Malgré cela, il y avait un mystère qu’il n’avait pas – encore, aimait-il préciser – résolu. Celui d’une famille à l’aura étrange, dont il n’avait réussi à reconstruire que des bribes d’histoires, par-ci, par-là.

Ce qu’il en sait pour le moment, c’est que les différentes histoires entendues ici et là font état d’une famille puissante, mais discrète, dont les pouvoirs dépasseraient la simple influence politique et la richesse. Il n’en sait pas beaucoup plus.

Ses longues années de recherche l’avaient mené à cette ville, dont la briquèterie avait été victime d’un incendie et dont le personnel avait été victime d’étranges symptômes.

Il ne savait pas encore très bien quel rapport il y avait entre la mystérieuse famille et cette fabrique, mais il était bien déterminé à en apprendre davantage.

Après avoir posé ses affaires à l’hôtel, il prit immédiatement la direction de la briquèterie en question…

Il se gara à proximité. L’endroit semblait à l’abandon comme si cela faisait très longtemps qu’il avait été déserté de toute vie. Pourtant ce n’était pas si loin dans le passé que l’incendie était survenu. En tant qu’historien, il lui était arrivé de mener des enquêtes sur le terrain, mais pas si fréquemment que cela, et son cœur battit un peu rapidement au moment de s’introduire dans le bâtiment. Si quelqu’un l’avait surpris, il aurait été bien embarrassé pour justifier sa présence.

Heureusement, le portail en fer n’avait pas grincé lorsqu’il l’avait poussé. N’ayant aucune expérience ni savoir pour crocheter les serrures, il fut soulagé de constater que la porte en bois ayant brûlé en totalité ne demandait qu’à s’ouvrir sur une légère poussée.

À l’intérieur régnait le chaos le plus complet. Pourtant il n’y avait pas d’ouvriers quand l’incendie s’était produit et il ne comprenait donc pas pourquoi il avait cette impression de panique. D’après ce qu’avaient publié les journaux l’incendie avait éclaté un mardi, et personne n’était à l’intérieur, alors pourquoi les endroits non dévastés par le feu étaient ils sens dessus dessous comme s’ils avaient fait l’objet d’une fouille effectuée en urgence ?

Le soleil était couché à présent, et seuls les lampadaires extérieurs dont la lumière forçait le passage à travers les carreaux noircis éclairaient les lieux, ne les rendant que plus lugubres et désolés. Pièce après pièce une angoisse lourde et poisseuse pesait un peu plus sur ses épaules. La désagréable impression que le lieu lui-même ne désirait pas sa présence. Devait-il s’obstiner ? Et puis, par où commencer ? Tout semblait avoir été déjà fouillé. Il en vint même à se demander si les fouilles avaient été antérieures à l’incendie et si celui-ci n’avait pas été déclenché pour en masquer les preuves.

En pénétrant dans l’usine, il cherchait à percer quelques mystères, trouver un indice laissé là par inadvertance, oublié dans la précipitation. Au lieu de ça, il se retrouvait à présent avec de nouvelles questions.

Il ne pouvait cependant se décider à quitter la briquèterie. Quelque chose au fond de lui murmurait qu’il était proche de son but, mais comment trouver quoi que ce soit dans ce désordre ? Il se résigna à abandonner ses recherches méticuleuses, se contentant de promener son regard vaguement dans les pièces et les ateliers qu’il traversait, se fiant au hasard plus qu’à un quelconque instinct.

Lorsqu’il eut dépassé les bureaux et qu’il pénétra dans les vestiaires, il était prêt à abandonner tout espoir et à jeter l’éponge. Toujours cette impression désagréable d’être un intrus. Étrange, telle cette atmosphère qu’on ressent dans de vielles bâtisses depuis longtemps abandonnées. La fermeture de la briquèterie n’avait pourtant rien d’ancien. Était-ce les marques et les ravages du feu qui l’inquiétait ? Alors qu’il se posait la question, son regard fut attiré par un mouvement étrange sur le sol, presque imperceptible. Sous la table du réfectoire dévorée par les flammes, quelque chose semblait attirer la poussière. Se rapprochant, changeant l’angle de son regard, il comprit aussitôt. Il y avait un trou dans le sol. Il dégagea les restes de la table et découvrit une trappe, à présent incomplète, que le parquet avait masquée jusqu’à ce que le feu ne la révèle.

Il n’eut aucun mal à la dégager, mais s’arrêta aussitôt. Les ténèbres qui régnaient dans le souterrain brisaient ses espoirs de découvrir quoi que ce soit. Il n’avait aucune torche sur lui, et il était inutile d’en rechercher une dans la briquèterie. Entre ce que le feu avait dévoré et le désordre qui régnait, il avait peu de chance de trouver quelque chose d’utile. Il se maudit de ne pas en avoir emporté une, invoquant son inexpérience, mais se rassura en se disant que si la trappe ne semblait pas avoir été ouverte jusque-là, il aurait peut-être la chance qu’elle reste invisible jusqu’à son retour.

Il plongea une dernière fois son regard dans l’obscurité en se promettant de revenir au plus vite. Alors que ses lèvres achevaient sa promesse silencieuse, il lui sembla distinguer un mouvement. Un regard le fixait dans les ténèbres. Surpris, terrifié, il tomba à la renverse, heurtant le sol de ses fesses.

Ce n’était pas possible. Il n’y avait personne, c’était simplement cette sensation d’être épié depuis son arrivée qui lui avait joué un tour.

Lentement, il revint au bord du trou que la table dissimulait. Il ne vit rien. Il ajouta cependant une clause à sa promesse, il reviendrait aussi vite que possible le lendemain, mais uniquement lorsque le soleil serait levé.

Il replaça la table aussi bien qu’il le pût, et sortie de l’usine aussi vite que discrètement.

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